Mon corps, mon choix : le nouveau slogan anti-vaccins ?

« Mon corps, mon choix »

 

On a tous déjà vu ce slogan, popularisé par les militant.es pour le droit à l’avortement depuis des décennies.

(Sur une note personnelle d’ailleurs, je suis à 100% pour ce droit)

 

Mais durant la pandémie, quelque chose de bizarre s’est produit : on a vu ce slogan apparaître d’abord en lien avec le port du masque

 

 

 

… puis avec le passeport vaccinal.

 

 

 

Et durant le convoi des camionneurs canadiens qui manifestent contre les mesures vaccinales et sanitaires (jan/fév. 2022), il était plus présent que jamais :

 

 

 

Même le hashtag #mybodymychoice semble avoir été envahi par les truckers :

 

 

 

 

En fait, depuis le début de la pandémie, l’argument du « libre choix » ou du « choix éclairé » en matière de vaccination est utilisé de plus en plus souvent. Ça donne souvent quelque chose du genre :

 

 

 

L’emphase accrue sur le « choix », on a vu ça par exemple en politique :

 

 

 

Et dans le discours d’autres personnalités publiques :

 

 

 

On a vu aussi des versions inusitées de cet argument, du genre : « J’ai le droit de choisir le vaccin avec lequel je suis le plus confortable » :

 

 

 

Ou des versions assez étranges comme : « Mon ADN, mon choix » :

(ou « Mon DNA, mon choix », parce que quand on traduit de l’anglais, on oublie parfois les abréviations)

 

 

 

Ou dans le même registre : « Pas de puces 5G, mon choix ».

 

 

 

Donc, qu’est-ce qu’on peut penser de tout ça ?

 

À première vue, cet argument du « choix » semble logique et plaît à l’esprit. Il réfère vaguement au concept d’inviolabilité de la personne, qui est un droit fondamental de la Charte des droits et libertés. Entre autres, ça implique qu’on ne peut pas forcer quelqu’un à recevoir des soins (incluant un vaccin) sans son consentement.

 

Ça semble aussi une position nuancée. Selon cette idée, on peut être 100% pour la vaccination, mais faire le choix individuel de ne pas se faire vacciner. Cette décision personnelle peut être légitime, par exemple si c’est une exemption d’ordre médical (i.e. le vaccin est contre-indiqué pour une vraie raison). Il y a aussi des objections religieuses, et… sûrement d’autres types de raisonnements ?

 

 

Et surtout, cet argument donne l’impression de tenir la route parce qu’il est utilisé efficacement (et à juste titre) pour le droit à l’avortement (et parfois aussi dans l’aide médicale à mourir).

 

Donc j’ai fait quelques recherches sur le sujet, en me posant deux questions :

1) D’où vient cet argument de « mon corps, mon choix » en lien avec la vaccination ?

2) Est-ce que ça tient la route comme raisonnement ?

 

 

 

 

Comme je disais plus tôt, c’est durant la pandémie que ce slogan a été de plus en plus associé au refus de la vaccination.

 

Mais après quelques recherches, on réalise que cet argument a toujours été présent. En fait, le mouvement anti-vaccins repose largement sur la rhétorique du « choix libre et éclairé » depuis longtemps.

 

Prenez par exemple l’organisme Vaccine Choice Canada, que Wikipédia décrit comme « le principal groupe anti-vaccination du Canada (…) fondé dans les années 80, et qui a adopté son nom actuel en 2014 ».

 

Même chose du côté des États-Unis : le National Vaccine Information Center a été fondé en 1982 et est reconnu comme « le plus ancien groupe anti-vaccins du pays ». Son slogan actuel :

 

 

En 2011, des groupes anti-vaccins comparaient déjà la vaccination à une agression sexuelle / à un viol. Puis la même rhétorique a continué à être utilisée sous différentes formes, toujours avec cette idée qu’on a le « choix » d’avoir le contrôle sur ce que d’autres personnes (ou le gouvernement) voudraient faire avec notre corps :

 

 

 

C’est entre 2017 et 2019 que le message semble s’être précisé davantage. Des leaders du mouvement anti-vaccins ont commencé à utiliser le slogan « C’est moi qui calle les shots : mon corps, mon choix » lors de manifestations.

 

On a aussi vu apparaître des slogans inspirés du mouvement #metoo, comme : « Je crois les mères » (par rapport à la vaccination des enfants) ou « Je ne consens pas ».

 

 

 

Ce qui a changé durant la pandémie, c’est que le lobby anti-vaccins a intentionnellement et activement poussé le slogan « Mon corps mon choix » et le vocabulaire « pro-choix » pour promouvoir son idéologie :

 

 

 

Puis des médias américains ont contribué à politiser la question, en semant un flou entre le droit à l’avortement et les positions anti-vaccins :

 

 

Bref, l’appropriation de ces slogans par les groupes anti-vaccins, ça peut sembler récent, mais en réalité, ça se préparait depuis longtemps.

(c’est peut-être même encore plus ancien que ce que j’ai pu trouver… n’hésitez pas à me partager vos propres découvertes à ce sujet)

 

 

 

 

 

 

À certains égards, « Mon corps, mon choix » s’applique bien à la vaccination. À d’autres égards… pas tant.

 

Il y a plusieurs problèmes (ou du moins des limites) avec ce raisonnement quand il est question de vaccination. En voici trois (3) qui me semblent particulièrement importants.

 

A) Choisir de ne pas se faire vacciner a aussi des impacts sur les autres

 

 

C’est la grande différence avec l’avortement : si une personne désire mettre fin à sa grossesse, sa décision n’a d’impact que sur son propre corps.

(et selon certains points de vue, le fœtus… mais ça c’est un autre débat, qui dépasse l’objectif du présent article)

 

À l’inverse, les maladies infectieuses se transmettent entre les individus, beaucoup plus (parfois même seulement) lorsqu’on est non-vacciné. C’est vrai pour l’ensemble des infections contre lesquelles on vaccine.

 

C’est aussi vrai pour le virus de la COVID et ses variants. Oui, même si les vaccins n’empêchent pas complètement l’infection et la transmission. Car le raisonnement est que les personnes non-vaccinées…

  • … ont plus de chances d’être infectées par la COVID;
  • … donc sont plus contagieuses, et ont plus de chances de transmettre le virus à autrui;
  • … et sont beaucoup, beaucoup plus à risque d’avoir des complications et se retrouver aux soins intensifs.

 (il y a tellement de données pour appuyer tout ça que je ne sais même plus quoi citer… tiens, voici un bon résumé de quelques-unes des plus récentes données par un chercheur canadien)

 

Autrement dit, l’impact sur autrui, et sur la société, de ne pas se faire vacciner est MAJEUR. Une personne non-vaccinée se met en danger, et met aussi les autres en danger.

 

Elle met aussi le système de santé en danger, car une personne non-vaccinée sera soignée au même titre qu’une personne qui l’est. Les ressources humaines que ses soins vont nécessiter, et les coûts engendrés, sont énormes.

 

Enfin, j’aimerais rappeler que dans certains États américains, l’avortement peut être un geste criminel. Encore là, rien à voir avec la (non-)vaccination.

 

Évidemment, « Mon corps mon choix » pourrait fonctionner pour d’autres décisions de santé qui n’ont aucun impact sur les autres :

 

 

Tout ça pour dire que le rapprochement entre l’avortement et la vaccination, c’est une mauvaise analogie.

 

Vous pouvez donc ignorer les mauvais memes du genre :

 

 

 

(Note : Certaines personnes affirment qu’un avortement prive la société d’un être humain « productif et payeur d’impôts »… Encore là, ça dépasse l’objectif de l’article, mais je dirai simplement que 1) la perte de « productivité » est valide aussi pour la mère qui poursuivrait une grossesse non-désirée, et 2) on parle ici de dommages indirects, tandis que la non-vaccination implique des dommages directs sur autrui.)

 

 

B) Ça laisse croire que le choix n’existe plus

 

 

 

Il faut se rappeler que les luttes pour le droit à l’avortement s’inscrivent dans un contexte où ce geste était, historiquement, illégal. Il l’est encore dans plusieurs endroits du monde.

 

Donc en s’appropriant le slogan qui a défini ce mouvement, le lobby anti-vaccins laisse sous-entendre qu’on pourrait vacciner les gens de force, ou les poursuivre au criminel s’ils refusent. On n’est pas là du tout. 

 

Au Canada, et dans la plupart des pays en ce moment, il n’y a pas de « vaccination obligatoire » pour la population générale. 

 

Il faut dire que la vaccination obligatoire n’est pas une méthode généralement prônée par les spécialistes, et même l’OMS décourage cette avenueAu Québec, cette option n’est pas complètement écartée dans le futur, selon le gouvernement. Mais en ce moment, on n’est pas là du tout.

 

En fait, selon certains éthiciens, se faire vacciner n’est même pas une obligation morale, même si ça met d’autres personnes en danger !

 

Évidemment, la COVID a un peu changé les choses à ce niveau. Le choix de ne pas se faire vacciner demeure possible, mais avec des restrictions / conséquences qui varient en sévérité.

 

 

 

 

Prenez l’exemple des camionneurs : ils et elles prônent le « libre choix » de ne pas se faire vacciner contre la COVID. Or, elles ont ce choix. Mais avec ça vient certaines restrictions, par exemple de se mettre en quarantaine pendant deux semaines s’ils traversent la frontière entre le Canada et les États-Unis. Ce qui rend leur travail difficile, voire impossible pour certains, mais ils peuvent quand même faire ce choix, s’ils y tiennent absolument, en attendant que la situation se stabilise et que les mesures sanitaires soient réduites.

 

D’autres groupes ont des restrictions pas mal plus sévères : par exemple, en novembre 2021, il a été annoncé que les employés fédéraux non-vaccinés contre la COVID au Canada seraient mis en congé sans solde. Le choix reste possible en théorie, mais avec une très lourde conséquence.

 

Le reste de la population peut aussi faire le choix de ne pas se faire vacciner contre la COVID, mais perd alors l’accès à certains privilèges et services.

 

On peut critiquer ces restrictions, mais il reste qu’elles sont mises en place pour le bien-être collectif, pas pour répondre à des choix individuels.

 

 

 

C) Le choix n’est pas toujours éclairé

 

 

 

Quand des manifestants, camionneurs ou autres personnalités disent qu’ils ne « sont pas anti-vaccins », je les crois.

(on dit d’ailleurs qu’il ne faut pas traiter les non-vaccinés « d’antivax », et je suis complètement d’accord; on devrait plutôt parler d’hésitation face à la vaccination)

 

Par contre, à leur insu, il y a de bonnes chances que leur pensée et leurs propos aient été influencés (voire façonnés) par le discours du très puissant, et très riche (de plus en plus riche, en fait), lobby anti-vaccins, qui travaille fort pour influencer l’opinion publique et les décisions politiques en matière de vaccination.

 

En éthique médicale, il y a deux principes fondateurs :

 

 

Le principe d’autonomie, c’est que chaque personne est libre de prendre ses propres décisions par rapport à sa santé. Mais l’autonomie suppose qu’on a donné toute l’information nécessaire à la personne pour qu’elle puisse offrir un consentement éclairé.

 

Dans le cas de la pandémie, la communauté scientifique a vraiment fait tout en son pouvoir pour offrir au public les meilleures informations objectives (en fait, je pense qu’on n’a jamais autant informé le public par rapport à une question scientifique !!!). Mais certaines personnes rejettent, volontairement ou non, cette information et se basent plutôt sur de la désinformation.

 

Donc quand ils et elles demandent qu’on respecte leur « choix libre et éclairé », le problème est que leur choix est peut-être libre, mais pas du tout éclairé.

 

 

 

Soyons clairs : oui, il faut respecter leur choix, peu importe qu’il soit éclairé ou non. Car en éthique médicale, « les valeurs, les croyances et les préférences du patient sont prises en compte ». Mais on ne peut pas non plus faire semblant que c’est forcément un bon choix.

 

Après tout, la « liberté », on la veut tous : on veut être libérés de cette maudite pandémie.

 

Et la vaccination est une étape essentielle pour y arriver.

 

* Note : La section commentaires ci-dessous est fermée, comme pour mes autres articles sur la COVID. Tu peux par contre soumettre ici toute demande de correction/précision. Je sais que tout le monde est à fleur de peau présentement, mais il suffit de me le demander gentiment, du genre : « Hey Olivier, j’ai remarqué que X pourrait être précisé/corrigé, je te suggère Y, bonne journée ! ». D’ailleurs, un IMMENSE MERCI à tous ceux et celles qui m’envoient des messages et améliorent ainsi grandement le contenu !

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