Inquiétudes à propos de la COVID longue

 
J’écris ce texte dans ma tête depuis qu’on a appris l’existence de la COVID longue, probablement à quelque part en 2021. C’est un texte dans le journal cette semaine qui a concrétisé certaines de mes appréhensions et qui m’a finalement décidé à le taper.
 
Tout d’abord, je veux être 100% clair sur un point : la COVID longue (aussi appelée syndrome post-COVID) est un phénomène bien réel, très préoccupant, et à aucun moment dans ce texte je ne remettrai ça en doute. En fait, son existence n’a rien de surprenant, car on connaît déjà beaucoup d’infections qui, une fois guéries, vont laisser des symptômes à moyen- et long-terme (ce qu’on appelle globalement les « syndromes post-infectieux »). Les symptômes peuvent varier entre chaque personne, durer des semaines ou des mois, nuire significativement à leur qualité de vie et à leur travail, et parfois laisser des séquelles. On doit absolument s’occuper de ces personnes et faire tout en notre possible pour leur offrir les meilleurs soins possibles.
 
(Peut-être que je développerai moi-même ce syndrome, car j’ai eu la COVID pour la première fois récemment… 🤞)
 
On en sait très peu sur la COVID longue, c’est très nouveau. Pour cette raison, je ne vais pas tenter d’expliquer ici ce que c’est / ce que ça n’est pas… je laisse ça aux spécialistes, et on en saura plus au fil du temps. Mais après 10 ans à m’intéresser aux pratiques douteuses et dangereuses en matière de santé, je vois venir certaines tendances, et il y a plusieurs choses qui m’inquiètent.
 
(D’ailleurs, je me retiens à deux mains pour ne pas faire des « prédictions »… mais si vous y tenez, vous pouvez remplacer ci-dessous les « J’ai peur que… » par des « Je prédis que… »)
 
 
Tout d’abord, j’ai peur que les gens atteints de la COVID longue soient encouragés à aller se faire soigner à l’étranger. Au Québec, la grande tentation, c’est les États-Unis. Là-bas, si on se fie à ce qui se dit sur Internet, tout a l’air mieux. Plusieurs diront qu’aux USA, les soins de la COVID longue sont plus « avancés ». Ça pourrait être vrai, mais permettez-moi d’en douter. La réalité, c’est que les États-Unis, c’est le paradis des pratiques louches en matière de santé. Il y a plusieurs raisons pour ça, dont :
 
A. Le contexte réglementaire là-bas est BEAUCOUP plus permissif. En fait, des lois sont régulièrement mises en place pour AIDER les cliniques et entreprises qui offrent des soins expérimentaux ou carrément louches. Certains ont qualifié cette réalité américaine d’« alchimie législative ».
 
B. Les professionnels de la santé (ex. médecins) qui offrent des traitements non-scientifiques, ou même frauduleux, sont moins souvent blâmés ou poursuivis en justice par leurs associations professionnelles, comparativement au Québec par exemple. Ici, on a très peu de tolérance, mais là-bas, la marge de manœuvre est plus grande. C’est une question de culture, et comme dans A), une question de lois.
 
C. Le système de santé y est largement privé, donc les cliniques sont essentiellement des entreprises qui peuvent charger ce qu’elles veulent. Les gens paient de leur poche pour les consultations et les traitements, et l’argent s’en va directement dans les coffres du médecin ou de la clinique.
 
Résultat : c’est facile d’aller aux États-Unis et de revenir avec un cocktail de médicaments prescrits par un médecin pour traiter la COVID longue, et ce, même s’il n’y a aucune preuve que ces traitements sont efficaces, et qu’ils peuvent potentiellement causer plus de dommages.
 
Bien sûr, chaque personne est libre de faire ce qu’elle veut pour sa santé, et d’aller voir ailleurs si elle ne se sent pas bien soignée ici… on se doit de respecter l’autonomie de chacun.e. Mais personnellement, comme pharmacien, si un.e patient.e m’annonce vouloir aller se faire traiter aux États-Unis, je serais extrêmement inquiet.
 
 
Mais j’ai peur pour chez nous également. Je prédis (bon ça y est, j’ai flanché) que des cliniques privées offriront bientôt des soins « spécialisés » en COVID longue, si ce n’est pas déjà le cas. Est-ce que ces soins seront basés sur les meilleures connaissances scientifiques, ou sur leur propres protocoles maison ? Bonne question. Et s’il y a des dérapages, seront-nous en mesure d’intervenir ? Les Ordres professionnels font un travail d’enquête exceptionnel sur le terrain, mais leurs ressources et capacités sont limitées.
 
Dans le même ordre d’idées, j’ai peur que des gens s’affichent sous peu comme des spécialistes autoproclamés de la COVID longue. J’ai peur qu’ils publient des livres du genre « Tout ce que vous devez savoir sur la COVID longue », en y allant de leurs propres hypothèses et interprétations. J’ai peur du rayonnement qu’ils auront sur les réseaux sociaux, et de l’attention médiatique qu’on leur accordera.
 
Enfin, j’ai peur qu’une industrie de la COVID longue se mette en place. Que des compagnies offrent des produits naturels et suppléments à prix exorbitants qui prétendent pouvoir la soigner, avec peu ou pas de preuves. J’ai peur que le gouvernement tente de les empêcher de dire de telles choses, mais que des compagnies utilisent les immenses failles réglementaires canadiennes pour jouer avec les mots et abuser de la confiance des consommateurs.
 
Donc… est-ce qu’on peut empêcher tout ça de se produire ? Probablement pas. Mais il y a définitivement des choses qu’on devrait faire pour protéger le public.
 
SOLUTIONS
 
1. Continuer à faire des recherches sur la COVID longue et comment la soigner. Par « recherches », je parle surtout de chercheurs.euses qui travaillent en milieu académique, dans les centres de recherche, hôpitaux et universités, et qui travaillent en collaboration avec la communauté scientifique internationale (i.e. je ne parle pas de « j’ai fait des recherches dans ma tête / mon sous-sol et j’ai publié les résultats sur ma page perso »). Aussi, question de relativiser, c’est un domaine de recherche très actif, qui ne semble pas négligé en ce moment (ce qui est une bonne nouvelle).
 
2. Faire preuve d’énormément d’écoute et d’empathie avec les personnes qui consultent pour des symptômes de COVID longue. Si elles ne se sentent pas accueillies et respectées, et qu’on balaie du revers de la main ce qu’elles vivent, d’autres soignants et pseudo-soignants, moins fiables, vont prendre la relève. On doit tous faire des efforts en ce sens, et je m’inclus là-dedans.
 
3. Ça implique aussi de s’assurer d’avoir des soins disponibles dans le système de santé public… gros défi. Mais cela dit, je suis persuadé que l’ensemble des professionnel.les de la santé ont la volonté de faire tout ce qu’ils et elles peuvent en ce sens.
 
4. Se faire adéquatement vacciner, car même si les vaccins actuels n’empêchent pas systématiquement d’attraper le virus, des données préliminaires suggèrent quand même un effet protecteur contre les symptômes persistants de la COVID. On en saura plus là-dessus au fil du temps (et des variants).
 
5. Ne pas abandonner complètement les mesures de prévention !!! Après plus de 2 ans et demi de pandémie, c’est vraiment tentant de brûler nos masques N95, de se mettre les doigts dans la bouche à répétition, de se frotter frénétiquement sur une personne positive à la COVID… OK là j’exagère, mais vous comprenez le principe. Même si ce n’est plus obligatoire, je pense qu’on doit continuer d’user de bon sens dans l’application des mesures. Car pour le moment, c’est ça que ça implique « d’apprendre à vivre avec le virus ».
 
Prenez soin de vous ✌️
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